Requiem pour les hôpitaux publics
Malgré une augmentation, entre 1998 et 2008, de plus de 50 % des dépenses de l’assurance maladie au profit des hôpitaux et cliniques, le tableau n’a jamais été si sombre.
« Le livre noir des hôpitaux » (Calmann-Lévy), vaste enquête réalisée par trois journalistes du Point, raconte les dysfonctionnements d’un système hospitalier au bord de la faillite. Les acteurs réclament sans cesse des moyens supplémentaires, que l’État leur accorde !
Le plan « Hôpital 2012 » prévoit ainsi un investissement supplémentaire de 10 milliards d’euros… Sans véritable réforme, ils auront tôt fait d’être engloutis dans la spirale des déficits. Extraits.
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C’est du jamais vu. Le 6 octobre 2008, le centre hospitalier d’Ajaccio est placé sous administration provisoire. […] Pour la première fois, un hôpital français est reconnu officiellement comme étant en faillite.
Une situation qui provoque une onde de choc en Corse et traverse la Méditerranée, car elle symbolise la très grave crise financière que connaissent de nombreux centres hospitaliers français. L’hôpital d’Ajaccio va très mal, et ce, depuis très longtemps. […]
Non seulement les comptes de l’hôpital sont faux, mais la hausse du nombre d’emplois et les frais de personnel se sont envolés, comme si les différentes directions ne maîtrisaient plus rien. Le seul absentéisme des personnels bat des records, les hospitaliers corses étant visiblement de grands malades avec deux, voire trois fois plus de jours d’arrêts de travail que la moyenne nationale. Quarante jours contre 20 pour le personnel non médical, 11,05 jours par agent administratif contre 5,36 en moyenne nationale, la palme étant détenue par les personnels médicotechniques qui prennent trois fois plus d’arrêts de travail que la moyenne (14,42 jours contre 5,19).
À lui seul, l’absentéisme représente l’équivalent de 160 emplois ! […]
Une fois en place dans des bureaux vidés de leurs occupants, les inspecteurs découvrent la catastrophe.
La situation financière réelle de l’hôpital – qui ne dis pose même pas de comptabilité analytique – est encore pire que celle précédemment décrite, avec un déficit approchant en réalité le triple de celui affiché, et ce, malgré les 30,5 millions d’aides versées depuis 2003. […].
« On ne sait plus très bien qui pilote l’hôpital. Si c’est le directeur, le chef de service, le délégué syndical ou le ministère », explique Alain Coulomb. Tour à tour patron de la Sécurité sociale, de la Fédération hospitalière privée, de l’Agence nationale d’évaluation en santé (ANAES) puis de la Haute-Autorité de santé, aujourd’hui consultant, il est un observateur privilégié du système.
« Il y a une sorte de chaos systématique avec un État qui donne d’une main et, de l’autre, passe son temps à faire du harcèlement textuel, normatif sans, en fait, diriger grand-chose. » […]
Enfin, les inspecteurs éreintent les élus et leur pression constante sur la gestion du système : « Ils donnent souvent la priorité au maintien des emplois à l’hôpital. Leur poids politique leur permet de s’opposer efficacement et pour de longues durées à des fermetures de services ou d’obtenir in extremis des subventions exceptionnelles du ministère ». Tout est dit. Car, si la situation devient intenable pour un établissement, le ministère met la main à la poche « dans des conditions peu transparentes », selon les experts de l’IGAS, qui notent que ces dotations ponctuelles varient en fonction du poids politique des élus. […]
Nous en avons été témoin, en 2004, dans le bureau du directeur du CHU de Toulouse, Daniel Moinard. Bien que classé premier de notre palmarès, le directeur, lors de notre visite, affichait une mine soucieuse. Son budget devait baisser, provoquant des mouvements de grogne au sein de l’établissement.
À la fin de notre reportage, il avait retrouvé le sourire, Philippe Douste- Blazy, alors ministre de la Santé et poids lourd politique local, lui avait, d’un claquement de doigts, octroyé une rallonge de 12 millions d’euros.
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