Bernard Zimmern : « Une part très faible des redressements est réellement justifiée par de la fraude fiscale »
Interview extraite de «La France de la fraude», Les Dossiers du Contribuable de juin/juillet 2013. 68 pages, 4€50. Disponible en ligne.
Vous ne croyez pas aux chiffres sur le recouvrement fiscal avancé chaque année par Bercy. Pourquoi ?
Parce que, vers 1998, j’ai fait faire une enquête par un jeune collaborateur. Elle a duré un an. Au cours de cette enquête nous avons interviewé Michel Taly, ancien directeur général des impôts et je ne sais combien d’anciens inspecteurs devenus conseillers fiscaux.
Tous nous ont dit que depuis la mise en place, par Valéry Giscard d’Estaing en 1963, d’un nouveau système de dynamisation des services fiscaux, la carrière des agents et la rémunération des étages supérieurs des directions départementales sont liées au montant des redressements effectués (le traitement d’un directeur départemental serait doublé par les primes liées aux redressements).
Quelle sont les conséquences de cette situation ?
Comme il y a séparation entre l’établissement du redressement par la direction des impôts et la perception du redressement par la direction de la comptabilité publique (il y a deux ans, cela n’avait pas changé au niveau des agents malgré la fusion des deux directions), les contrôleurs et inspecteurs sont poussés à faire n’importe quoi. Ainsi depuis que nous suivons cela, les montants perçus in fine et tels que publiés par le gouvernement atteignent à peine 40 % des redressements effectués. Le reste est annulé par l’administration.
Cela ne serait pas grave si cela ne se faisait en grande partie à travers environ 50000 contrôles sur place de petits commerces, artisans, petits industriels que ces redressements font disparaître.
Les entreprises victimes de redressements abusifs parviennent-elles à faire valoir leurs droits ?
Les motifs de ces redressements sont souvent bidons. Ceux qui ont les moyens de résister, finissent par les faire annuler après des années de bataille. Nous avons suivi, épaulé, beaucoup d’entreprises dans cette situation mais avons été incapables de modifier cette machine à détruire des entreprises, des emplois et des vies…
Que se passe-t-il en cas de rejet de la comptabilité d’une entreprise subissant un contrôle?
Dans le principe d’un contrôle, il appartient à l’administration de faire la preuve de l’erreur ou de la faute fiscale, mais l’une des dispositions les plus ahurissantes dans un régime démocratique est que la responsabilité de la preuve est inversée si la comptabilité a été rejetée. L’administration peut alors calculer un chiffre d’affaires, un bénéfice… et redresser sur cette base. Et c’est à l’administré de prouver que c’est faux ! Et qui a le pouvoir de rejeter la comptabilité ? L’inspecteur chargé du contrôle. Nous n’avons jamais pu obtenir que cette décision soit confiée à un juge.
Peut-on estimer la charge financière globale du contrôle fiscal pour la nation ?
Nous avions fait une évaluation, il y a donc quinze ans, et trouvé que le vrai coût des contrôleurs, si l’on intègre tous les coûts indirects comme les bureaux, le téléphone, les voitures… était du même ordre de grandeur que les sommes réellement encaissées. Mais le plus grave n’est pas là. On cite souvent le chiffre du coût de collecte de l’impôt qui a été mesuré par une commission officielle (la commission Lépine) et qui serait de l’ordre de 1,6 % des montants collectés et plus élevé que pour la plupart des autres pays ( 0,49 % aux USA). Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.
Le coût de la collecte de l’impôt, qui est supporté par le secteur privé, et en premier lieu par les entreprises, est entre 20 et 30 % des montants collectés si l’on suit les conclusions d’une commission établie aux USA par l’IRS [Internal Revenue Service, l’agence gouvernementale qui collecte l’impôt aux Etats-Unis, NDLR] et dont les recherches ont été sous-traitées à quatre grands groupes d’auditeurs comme Deloitte.
Le coût de la collecte que vous avancez est énorme…
Ce pourcentage peut paraître délirant mais il l’est moins si l’on réalise que l’entreprise, entre la TVA, l’impôt sur les sociétés, les produits pétroliers, sans même parler des charges sociales, ramasse près de 80 % des recettes de l’Etat.
Le pourcentage en question est calculé sur le temps passé par le personnel des entreprises à saisir et entrer en comptabilité les éléments fiscaux comme les taxes (TVA, charges locales en France), établir le compte de résultat et le bilan fiscaux à partir des comptes de résultat et bilans commerciaux, les frais des services juridiques nécessaires pour interpréter la législation fiscale et contrôler en interne son application.
Ce chiffre de 20 % n’est pas très éloigné du montant de l’impôt papier évalué par l’OCDE à 4-5 % du chiffre d’affaires.
Le taux de recouvrement actuel vous paraît-il satisfaisant ?
Compte tenu de l’aberration des redressements, probablement. Dans une autre étude regardant les redressements des départements par rapport à leur PIB, nous avions pu voir que la distribution des taux de redressement suivait la loi du hasard…
Le montant des redressements demandés influe-t-il sur la rémunération des contrôleurs ?
Non, mais sur leur avancement et sur la rémunération (prime) des directeurs départementaux et adjoints.
Le montant de leur rémunération est-il pondéré selon le montant des sommes effectivement recouvrées ?
Non, à moins que cela ait changé très récemment.
Les discours alarmistes sur le montant de la fraude fiscale sont-ils un prétexte pour rendre les contrôles touchant « Monsieur Tout-le-Monde » plus tatillons ?
Il faudrait faire prendre conscience qu’une part très faible des redressements est réellement justifiée par de la fraude fiscale. Les Américains ont longtemps procédé à une évaluation de la fraude réelle en soumettant tous les ans une cinquantaine de milliers de déclarations fiscales à des contrôles approfondis et ont trouvé que les erreurs de déclaration provenaient pour moins de 20% de la fraude, et pour plus de 80% des incertitudes du code ou de sa mauvaise compréhension.
Ils avaient d’ailleurs donné une déclaration fiscale banale (un ménage avec deux enfants, une maison et un petit portefeuille) à remplir par dix experts fiscaux : aucune des dix réponses n’était identique et toutes se sont avérées fausses…
Que pensez-vous des dernières mesures fiscales annoncées par le président de la République ?
Des mesures décidées pour des raisons politiques et complètement irréalistes sur le plan économique car elles aggravent le chômage et les inégalités. L’un des problèmes français est qu’on a laissé le discours public aux égalitaristes, ceux qui vivent de la lutte contre les inégalités en étant eux-mêmes payés par l’Etat (chercheurs, professeurs…) et qu’ils donnent leur justification morale (lutter contre les inégalités) aux étatistes alors que c’est l’étatisme qui enrichit ces égalitaristes.
La France est-elle devenue un enfer fiscal ?
Tout dépend de ce que l’on appelle l’enfer. S’il est équipé de l’air conditionné, on y est peut-être mieux l’hiver quand il fait très froid. Mais avec 55 % du PIB dépensé par la puissance publique, nous sommes partis pour une chute en spirale vers l’enfer de Dante. Cela détruit nos entreprises, réduit la masse taxable, ce qui augmente la charge de ceux qui restent, et ainsi de suite. Les Français oublient que notre pays affiche l’un des taux d’emplois les plus faibles d’Europe.
Nous avons 19 millions d’emplois marchands contre 24 au Royaume-Uni et 26 en Allemagne si on ramène la population allemande aux proportions de la nôtre. A charges publiques égales, la part à supporter par chaque salarié privé français est donc 30 % plus élevée que celle de son homologue en Allemagne.
Bernard Zimmern anime le blog Emploi 2017 ,« Emploi et Croissance : sortir de 30 ans d’échec ».
Interview extraite de « La France de la fraude », Les Dossiers du Contribuable de juin/juillet 2013. 68 pages, 4€50. Commande en ligne.
Cela veut dire quoi ne part très faible des redressements est réellement justifiée par de la fraude fiscale
Lorsque vous fraudez le fisc vous dites aux autres contribuables payez mes impôts à ma place …
De plus les amendes des douanes représentent 5 fois la valeur de la marchandise passée en fraude sauf si c’est de l’argent l’amende est au plus une partie de la somme placée dans des compte offshore …
De plus une amende est faite pour que la fraude ne recommence pas … ce qui effectivement peut mettre le fraudeur dans l’impossibilité de recommencer…
Quand je lis que 85% de la fraude au système de santé est due aux professionnels de la santé c-a-d des travailleurs indépendants… vu le trou de la sécurité sociale cela n’invite pas à la clémence … Tous des Cahuzac …
Merci. Cdt.
Qui profite le plus des 55% du PIB dépensé par la puissance publique ?
Pour nous, un fraudeur est un fraudeur (le code pénal) et pour ne pas qu’il recommence, il faut le condamner lourdement au lieu de l’amnistier en lui trouvant des excuses bidon qui n’arrange que le système et ceux qui font comme lui…!
Magouille et corruption, les deux mamelles de la « crise » et autant de crimes contre le peuple.
http://www.associationmieuxvivredanslatransparence.fr
Qui profite? La fonction publique, c’est évident!
Retour sur la retraite par répartition. Pour la fonction publique ,où est la caisse de répartition? Où se fait l’équilibre entre cotisations et retraites versées? C’est une fiction pure et l’impôt de tous les français comble le déficit à l’infini. Normal que ce système soit adoré des syndicats de fonctionnaires!
@ Phaléne:
Vous pensez vraiment qu’il n’y a que les fonctionnaires qui profitent ?
Vous ne pensez pas que les politiques et les élus ont placé autant de fonctionnaires (Etat-Collectivités) pour qu’ils leur servent la soupe et les protègent en cas de cas ?
Alors qui profite le plus sous le couvert des fonctionnaires et où se trouvent les véritables responsables de toute cette abondance de « serviteurs » ?
Magouille et corruption, les deux mamelles de la « crise » et autant de crimes contre le peuple.
http://www.associationmieuxvivredanslatransparence.fr
A B. Alghisi, réellement je crois que c’est simplement du laisser aller; des structures non gérées; etc…Et à l’arrivée, comme cela se voit dans certaines familles, les chefs ont peur de leur troupe, comme certains de leurs enfants.
Bien sûr à l’ombre de ce grand arbre, il faut bon faire la sieste, pendant que certains profitent et abusent: aristocratie élective et aristocratie méritocratique scolaire; mais le gros de la dépense est dans le nombre, la complexité.
Bien sûr la redistribution en tous sens, au point de ne plus avoir aucun sens, à laquelle se livre ce pays pèse pas mal, et crée beaucoup de fraudes et combines. C’est à mon avis, d’abord le résultat de l’absence de commandement, plus que d’une volonté politique. La seule volonté politique qui reste est la peur, peur pour les deux aristocraties de perdre leurs privilèges et fauteuils.
Sur l’empilement Etat- collectivités, vous avez raison, il y a là volonté des élus, et de eux seuls: le conflit d’intérêt parlementaire/élu local, fait des ravages.